Origine du nom des notes de musique

Voici un texte que j’avais trouvé à cette adresse: etiop.free.fr

L’origine du nom des notes

Sommaire

Introduction Un poème particulier ?
De l’ingénierie à rebours
Le choix des syllabes RE / SOL / UT / IO
IO / SAN
FA / SOL / LA
MI
L’ordre des syllabes Heptacordes et octocordes
La solution pour RESOLUTIO
Le système planétaire au Moyen-age
Premières synthèses
Synthèses secondaires
Derniers remaniements
Conclusion … provisoire
La solmisation Avant Guy d’Arezzo
Les hexacordes
Hexacordes et gammes
Muances
Noms des notes
Complications
Conclusion

Introduction

Dans la page « Gammes et théories musicales », j’explique que le nom des notes (Do, Ré, Mi, etc.), vient d’un chant grégorien, qui possédait une caractéristique intéressante : chaque vers commençait sur une note plus haute que le vers précédent. Et du coup, la première syllabe de chaque vers a servi à désigner la note sur laquelle cette syllabe était prononcée.

C’est du moins la version officielle. Mais dans un ouvrage très intéressant, intitulé « Le Symbolisme de la gamme », et publié en Mars 1988 en tant que numéro double 408-409 de « La Revue Musicale », Messieurs Chailley et Viret reviennent sur cette vérité, et la compliquent passablement.

Il serait en effet possible que le fameux chant grégorien ait été écrit par la personne même qui décidât de donner des noms aux notes, à savoir Guy d’Arezzo (né vers 990, mort en 1050), inventeur de la solmisation (qui donnera après diverses péripéties le solfège). Donc, la particularité mélodique aurait été fabriquée a dessein, et n’aurait pas pu servir de critère de choix pour décider d’utiliser ce poème particulier. N’importe quel poème, dont chaque vers commençait par une syllabe différente, aurait pu faire l’affaire. A moins que ce poème-ci ait quelque-chose de spécial…

Nous allons donc essayer de comprendre les secrets que ce poème pourrait receler, puis, dans une seconde partie plus « scientifique », expliquer dans les grandes lignes les circonstances et les buts recherchés par Guy d’Arezzo, à savoir le pourquoi et le comment de la solmisation, ancêtre du solfège.

Un poème particulier ?

Rappelons d’abord ce poème, écrit par Paul Diacre (né en 730, mort vers 799) :

« Ut queant laxis / Resonare fibris / Mira gestorum / Famuli tuorum / Solve polluti / Labii reatum / Sancte Johannes »

Et donnons-en la traduction :

« Pour que puissent résonner sur les cordes détendues de nos lèvres les merveilles de tes actions, enlève le péché de ton impur serviteur, ô Saint Jean »

Il s’agit donc d’un hymne à Saint Jean, en fait Saint Jean-Baptiste (celui qui est venu avant Jésus, l’a baptisé, et est mort décapité), et non Saint Jean l’Évangéliste (celui qui a écrit le quatrième Évangile et l’Apocalypse). La fête de Saint Jean-Baptiste tombe le 24 Juin, et correspond donc au solstice d’été (et à mon propre anniversaire…) ; le solstice d’hiver étant le 24 Décembre, il y a donc une relation très forte et très ancienne entre Saint Jean-Baptiste, et Jésus-Christ. Cet hymne était chanté lors de cette fête du 24 Juin.

La syntaxe de ce poème est particulièrement contournée. Un peu comme dans le vers « D’amour mourir me font, belle marquise, vos yeux », les mots ne sont pas donnés dans leur emplacement le plus naturel, mais sont au contraire décalés, déplacés, séparés parfois de plusieurs vers.

Une telle complication de syntaxe peut servir différents desseins, parmi lesquels :

  • faire plus « poétique » (moyen médiocre)
  • déplacer certains mots vers la fin des vers, afin d’obtenir des rimes plus riches, ou plus rares
  • ou encore, déplacer certains mots vers le début des vers, afin de fabriquer un acrostiche.

Un acrostiche est, dixit le Larousse de poche, une « poésie dont les premières lettres de chaque vers, lues verticalement, forment le nom voulu ». En voici un exemple, dont l’acrostiche « Bonne année » indique les circonstances de composition :

« Bonjour ma promise / On se fait la bise / Non le vent glacé / N‘a pu t’effacer / Et je pense à toi
Aussi je t’envoie / Non sans allégresse / Nymphelle princesse / Et ma déférence / Et ma révérence »

Mais dans le poème qui nous occupe, l’acrostiche donnerait « URMFSLS », ou « URMFSLSI », si je choisis de prendre en compte toutes les majuscules du poème (que ce soient des majuscules de début de vers ou des majuscules de noms propres), et si je choisis d’utiliser l’ancienne notation romaine qui confondait les lettres I et J. Dans les deux cas, le mot obtenu ne signifie pas grand-chose…

Cependant, lorsque Guy d’Arezzo décida d’utiliser ce poème pour donner un nom aux notes, il ne prit pas en compte les premières lettres, mais les premières syllabes. Ce qui nous donne « UT RE MI FA SOL LA SAN IO » (en prenant en compte toutes les syllabes comportant une majuscule, et en remplaçant le J par le I). Ce résultat n’est pas beaucoup plus clair ! C’est sans doute que le secret, en supposant que ces syllabes cachent effectivement une signification d’ordre philosophique ou théologique, est caché par d’autres manipulations, comme des anagrammes, des charades, des permutations…

De l’ingénierie à rebours

Nous allons donc supposer que Paul Diacre avait en tête des contraintes bien précises pour fabriquer son poème, et mettre en avant les syllabes « UT RE MI FA SOL LA SAN IO ». Et nous allons essayer de deviner ces règles. En informatique, on appelle cela de la « reverse engeniering », et cela consiste, en partant du résultat final, à retrouver les objectifs initiaux qui ont abouti à ce résultat. Dans le jeu d’échec, cela s’appelle de l’analyse rétrograde, et cela consiste, en partant d’une configuration finale des pièces sur le plateau, à déterminer la position des pièces quelques coups avant.

Si l’analyse rétrograde des échecs peut être « prouvée », il n’en est pas de même pour l’ingénierie à rebours que nous allons effectuer sur la détermination des syllabes « UT RE MI FA SOL LA SAN IO ». Une telle forme d’analyse sera difficile à justifier et à valider. Comment être sur que :

  • le résultat final était bien déterminé par des règles, et n’était pas le fruit pur et simple du hasard ?
  • les objectifs initiaux que nous aurons déterminés étaient bien ceux poursuivis par l’auteur des règles, qui n’est pas parvenu à ce résultat final par un chemin tout autre que celui que nous supposerons ?

Si, à la fin, le faisceau de suppositions est suffisamment cohérent et épais, alors nous pourrons penser que notre solution est plausible. Mais pour aller de ce « plausible » à un « probable », il faudrait des preuves, de nature historique (correspondances ou documents laissés par Paul Diacre, principalement). En l’absence de tels indices, nous nous contenterons de ce statut ambigu d’une version « non-officielle » et improuvable, mais aux attraits certains, et qui aura eu le mérite d’apporter une lumière nouvelle sur la question « Pourquoi autant de notes dans la gamme diatonique que de jours dans la semaine ? », en y mêlant en plus le nombre de planètes visibles dans le ciel….

Le choix des syllabes

RE / SOL / UT / IO

Le mot le plus évident à deviner dans notre assemblée de syllabes, c’est le mot « RESOLUTIO ».

Ce mot possède deux sens qui nous intéressent :

  • décomposition d’un tout en parties
  • transformation, changement d’état d’une matière

Dans le premier sens, nous sommes en plein dans la problématique de construction d’une gamme, qui consiste à décomposer une octave en quintes ou en tierces.

Dans le deuxième sens, nous abordons des rivages plus philosophiques, ou métaphysiques. Le terme introduit la notion de disparition et de résurrection, qui est l’équivalent pour l’âme humaine d’un changement d’état.

IO / SAN

Un deuxième mot peut être deviné, quand on est bien imprégné de culture chrétienne (ce qui était le cas de toute « l’intelligentsia » du moyen-âge) : il s’agit du nom de Jonas.

Jonas est ce prophète qu’une baleine avala puis recracha trois jours plus tard. Ce séjour dans la baleine est clairement une transposition de la mort, et cela fait de Jonas une sorte d’annonce de Jésus, qui lui séjourna trois jours parmi les morts avant de ressusciter (je me place toujours dans la logique et la mentalité chrétienne qui était celle de Paul Diacre).

Mais pourquoi ce renversement de « IO / NAS » en « SAN / IO » (dans le vers « Sancte Johannes ») ? D’abord, cela permet de citer Saint Jean, en camouflant sous son nom celui de Jonas, lui-même camouflant la figure de Jésus-Christ. Cela permet aussi d’indiquer une sorte de « force », qui partirait du mot IONAS pour se diffuser sur le reste du vers. Une force qui ferait « exploser » le mot IONAS ainsi :

           <–  –>
IO NAS ==> SAN  IO

Une force centrifuge, qui part du Christ, et qui se diffuse vers l’ensemble de la création.

FA / SOL / LA

Une fois admise cette manipulation, on peut en déceler une semblable permettant d’obtenir le mot Alpha, à partir des syllabes LA et FA.

Ce mot Alpha suffit à lui seul à évoquer le couple « Alpha / Oméga », qui représente le début et la fin, donc l’univers entier de la création. D’ailleurs, on peut retrouver le O de Oméga au centre de la syllabe SOL.

Cette fois-ci, pour transformer Alpha en FA LA, il a fallu utiliser une force centripète, qui part de l’ensemble de la création pour se concentrer vers le Dieu créateur.

          –>       <–
AL FA ==> FA  (sOl) LA

MI

Un thème semblable à celui de l’alpha/oméga peut être deviné dans la seule syllabe MI. En effet, cette lettre est composé de I, qui est le symbole romain utilisé pour représenter le nombre 1, et de M, qui représente le nombre 1000, et ce sont là respectivement le plus petit nombre et le plus grand nombre représentables dans le système romain par une seule lettre.

Donc, MI, qui peut s’écrire 1000 et 1, représente l’alliance du plus grand et du plus petit. Il s’agit donc là encore de l’ensemble de l’univers, mais représenté par une seule syllabe, ce qui est un joli tour de force.

L’ordre des syllabes

Les syllabes sont maintenant choisies :

  • « RE / SOL / UT / IO » comme cœur du système
  • « LA / sOl / FA », « IO / SAN » et « MI » comme systèmes annexes

Il n’est sans doute pas anecdotique de remarquer que ces contraintes portent successivement sur quatre, trois, deux puis une syllabe. Surtout quand on connaît l’attrait des grecs anciens pour les spéculations numériques autour des chiffres « 4+3+2+1 », qui voyaient là un « noyau » susceptible d’engendrer toutes les mathématiques, et donc tout l’univers.

Il faut maintenant donner un ordre à ces syllabes. Pour cela, on peut utiliser des mises en parallèles avec les conceptions de cette époque concernant :

  • les systèmes musicaux
  • la position des planètes

Heptacordes et octocordes

Quels sont les systèmes musicaux utilisés à l’époque de Paul Diacre ? Ce sont des systèmes hérités de la musique grecque, et qui reposent sur les tétracordes. Un tétracorde est une sorte de lyre possédant quatre cordes. Les deux cordes extrêmes sont de longueur fixe (et donc de hauteur fixe, puisque dans le cas d’une corde vibrante la hauteur de la note produite par la vibration est liée à la longueur de la corde). Elles sont accordées pour former un rapport de quarte. Les deux cordes intermédiaires sont de longueurs modifiables. On appelle les notes qui leur sont associées les notes « mobiles ».

Pour couvrir un champ plus vaste que cette simple quarte, il faut associer plusieurs tétracordes, par juxtaposition.

La première possibilité est d’associer deux tétracordes en utilisant la note supérieure du premier comme note inférieure du second. On a alors sept notes, qui couvrent deux quartes. Qui dit sept cordes dit : heptacorde. Les notes fixes de ce système reçoivent des noms :

     Premier         Second
tétracorde     tétracorde
(1) (notes    (4/3) (notes    (16/9)
mobiles)        mobiles)
Hypate        Mèse             Nète 

Le problème est que l’octave est absente de ce système. C’est dommage, vue l’importance de ce rapport ! Pour corriger cela, on décide d’utiliser toujours deux tétracordes, mais en les séparant d’un ton. Donc, la note inférieure du second tétracorde sera un ton plus haut que la note supérieure du premier tétracorde. De ce fait, on obtient un système à huit cordes, qu’on appelle logiquement un octocorde :

    Premier               Second
tétracorde           tétracorde
(1) (notes    (4/3) (9/8) (notes    (2)
mobiles)               mobiles)
Hypate        Mèse  Paranèse         Nète

Dans ces systèmes, les notes les plus importantes sont :

  • d’abord, la mèse ; c’est le centre de tout le système musical, la note autour de laquelle toutes les autres gravitent, et par rapport à laquelle elles prennent leur signification ;
  • ensuite, l’hypate et la nète.

La solution pour RESOLUTIO

En superposant un heptacorde et un octocorde qui aurait la même note hypate, on obtient une note hypate, une note mèse, et deux notes nètes possibles.

Hypate    Mèse     Nète    Nète
(1)       (4/3)   (16/9)  (2)

Quatre notes donc. Cela tombe bien, puisque la contrainte syllabique principale, « RE/SOL/UT/IO », contient elle aussi quatre syllabes. On peut donc presque « naturellement » associer les syllabes RE SOL UT et IO aux notes hypates, mèses, et nètes :

Hypate    Mèse     Nète    Nète
(1)       (4/3)   (16/9)  (2)
RE        SOL     UT       IO 

Un « effet de bord » fort heureux (à moins que tout ait été fait pour cela…) est d’associer la syllabe SOL à la position de mèse. Or, SOL, c’est le Soleil, bien sur, qui a bien une position particulièrement prédominante parmi les planètes visibles dans le ciel !

Mais il faut donc parler de ces planètes.

Le système planétaire au Moyen-age

Dans le modèle de Ptolémée (IIème siècle avant JC), inspiré des conceptions d’Aristote, la Terre est au centre de l’univers, et elle est entourée de huit sphères successives, qui portent respectivement la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne, et le zodiaque (qui représente l’ensemble des étoiles fixes). C’est derrière cette ultime sphère que sera situé le Paradis.

Ce modèle, qui a l’avantage de correspondre correctement aux Saintes Écritures chrétiennes, ne fut remis en cause qu’en 1514 par Copernic, puis par Galilée, suivi de Kepler, de Newton, etc.

Mais donc, à l’époque de Paul Diacre, et encore à celle de Guy d’Arezzo, on a le modèle planétaire suivant :

Terre | Lune Mercure Vénus Soleil Mars Jupiter Saturne | Zodiaque

Puisque les planètes se meuvent, elles doivent forcément produire du son. Ce son est proportionnel à la vitesse du déplacement, et donc plus la planète est lointaine, plus le son est aigu… Ce sont des concepts de ce genre qui président à ce qu’on appelle « la musique des sphères », qui permet d’associer les règles qui déterminent l’ordre des planètes, et les règles qui fondent l’harmonie musicale.

Dans ces associations, étrangement, puisque cela contredit l’axiome de départ selon lequel plus la sphère est éloignée plus le son produit est aigu, l’ordre des sphères est le plus souvent inversé : on part du Zodiaque, et on termine par la Terre.

Zodiaque | Saturne Jupiter Mars Soleil Vénus Mercure Lune | Terre

Premières synthèses

Nous avons donc pour l’instant :

  • (1) un système planétaire de huit sphères, plus la Terre
  • (2) un système musical de sept ou huit notes aux structures « notes fixes – notes mobiles » bien précises
  • (3) une correspondance entre les syllabes « RE / SOL / UT / IO » et les notes fixes du système musical
  • (4) une correspondance entre la syllabe SOL et la note mèse du système musical
  • (5) une correspondance entre la syllabe SOL et la planète Soleil
Zodiaque Saturne Jupiter Mars Soleil Vénus Mercure Lune Terre (1)
SOL (5)
RE SOL UT IO (2)(3)(4)

En effet, la règle « Re=Hypate, Sol=Mèse, Ut=Nète 16/9, IO=Nète 2 » impose de laisser deux cases vides entre RE et SOL qui correspondent aux deux notes mobiles entre Hypate et Mèse, et idem entre SOL et UT pour les deux notes mobiles entre Mèse et Nète.

Synthèses secondaires

Nous avons encore les contraintes secondaires :

  • (6) « FA / SOL / LA » pour l’Alpha et l’Oméga
  • (7) « IO / SAN » pour le prophète Jonas
  • (8) « MI » pour le plus petit et le plus grand
Zodiaque Saturne Jupiter Mars Soleil Vénus Mercure Lune Terre (1)
SOL (5)
RE SOL UT IO (2)(3)(4)
RE FA SOL LA UT IO (5)
RE FA SOL LA SAN UT IO (6)
RE MI FA SOL LA SAN UT IO (7)

FA et LA trouvent naturellement leur place autour de SOL.
La place la plus proche de IO est déjà prise par UT, donc on décale le SAN.
MI prend la place qui reste.

Derniers remaniements

On obtient donc comme ordre des syllabes « RE MI FA SOL LA SAN UT IO ». Ce qui n’est pas totalement satisfaisant ! Comment expliquer que le « UT » ait été déplacé de la Lune au Zodiaque ?

Les réponses apportées par Messieurs Chailley et Viret dans l’opus cité en introduction, ne sont pas non plus totalement convaincantes. Nous n’avons là que des pistes.

Il est possible que le « UT » ait été déplacé pour rapprocher les syllabes « IO » et « SAN », et rendre ainsi plus perceptible l’hommage à Jonas. Il s’agit en effet, au final, de composer un poème dédié à Saint Jean, et la synthèse « Saint Jean – Jonas – Jésus Christ » que permet le dernier vers « SANcte IOhannes » a pu décider Paul Diacre à arbitrer en faveur de cette manipulation, quitte à endommager un peu la contrainte RESOLUTIO, et les correspondances avec les systèmes musicaux et planétaires.

Ce déplacement est peut-être facilité par les liens qui unissent la Lune, première sphère, et le Zodiaque, dernière sphère (la Terre n’étant pas une sphère, mais le centre du système). Cet échange est donc assimilables aux principes déjà présents dans le poème de type « Alpha / Oméga » et « le plus petit / le plus grand ».

Une fois ce déplacement effectué, la Lune n’a plus de note. On déplace donc celle de la Terre. Ce qui permet d’avoir un système plus cohérent, puisque maintenant chacune des huit sphères a sa note (avant ces modifications, le Zodiaque était muet, et la Terre chantait ; c’est maintenant l’inverse, mais puisque le Zodiaque correspond à une sphère, et pas la Terre, il est plus normal que ce soit elle qui soit en exception).

Conclusion … provisoire

Tous ces développements peuvent sembler tirés par les cheveux. Et peut-être le sont-ils. Tous ceux qui aimeraient avoir des compléments d’information, ou des éléments de preuve, je ne peux que les renvoyer vers l’ouvrage de Messieurs Chailley et Viret, « Le Symbolisme de la gamme ». Les arguments donnés ici de façon sommaire y sont bien plus développés, avec des éléments historiques, mystiques et philosophiques beaucoup plus nombreux et détaillés. Mais qui ne font toujours pas office de preuves !

Cependant, il est certain que la position des planètes et l’ordre des notes dans la gamme sont liées ! Plus surprenant encore (pour moi du moins…) c’est que le nom et l’ordre des jours dans la semaine font aussi partie de la fête !

L’association « nom du jour – nom de planète » est connue (Lundi-Lune, Mardi-Mars, Mercredi-Mercure, …, Samedi-Saturne, Dimanche-Soleil.). Mais d’où vient l’ordre ainsi obtenu (Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus, Saturne, Soleil), qui n’est pas du tout l’ordre habituel des sphères ?

Le tableau suivant résume la situation. Il donne l’ordre de la semaine d’un coté, et l’ordre des sphères de l’autre.

 

Dimanche Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi Dimanche
Lune X
Mercure X
Vénus X
Soleil X X
Mars X
Jupiter X
Saturne X

 

Que constatons-nous ? Au cours de la semaine, on monte de 4 sphères, puis on descend de 5, on remonte de 4, on redescend de 5, etc. Cela ne vous rappelle rien ? On est en train de décrire un cycle de quintes descendantes dans la série des sphères ! On est donc en train de construire une gamme.

Quelle gamme ? Elle est forcément pythagoricienne, puisque c’est le seul système existant à cette époque, Zarlino n’est pas encore né… Elle possède Sol comme « mèse ». Or, l’équivalent de la note mèse grecque dans notre système habituel, c’est la dominante (l’équivalent de l’hypate étant la tonique). La gamme dont la dominante est Sol est une gamme de Ré.

La semaine est donc une gamme de Ré, qui comprend les 6 premières quintes descendantes.

 

Samedi Dimanche Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi
Sol Do Fa Sib Mib Lab

 

La solmisation

Nous supposerons donc que c’est Paul Diacre qui a écrit le texte du poème « Ut queant laxis », avec ou sans toutes les contraintes que nous lui avons prêtées. Mais pourquoi  dit-on que c’est Guy d’Arezzo qui a inventé le nom des notes ? Que ce soit ou non lui qui ait écrit la mélodie si particulière de cet hymne à Saint Jean-Baptiste, quel était son but, et quelle a été sa contribution certaine ?

Il a inventé la solmisation. Et ce fut une révolution dans l’enseignement musical.

Avant Guy d’Arezzo

Quelle est la situation de l’enseignement musical avant Guy d’Arezzo ? La quasiment seule façon connue et pratiquée d’enseigner à de jeunes choristes les airs à chanter au cours des diverses cérémonies religieuses, c’est l’imitation de vive voix : le maître chante, les élèves répètent, et ce le nombre de fois nécessaire pour que les élèves retiennent correctement le chant. Ca marche mais c’est long ! Cela peut prendre une dizaine d’années, pour l’intégralité du répertoire visé.

Guy d’Arezzo met au point une autre méthode, qui permet de retenir plus facilement un chant, et de le chanter plus rapidement sans faire d’erreur. Cette méthode utilise des mnémoniques pour nommer les notes, et un système d’hexacordes qui permet de retrouver très facilement quand est-ce qu’il y a un ton, et quand est-ce qu’il y a un demi-ton, la confusion entre ces deux écarts étant la source la plus fréquente de fausses notes.

Les hexacordes

La définition de l’hexacorde est la suivante : succession conjointe de six degrés diatoniques formant entre eux deux intervalles de seconde majeure, un de seconde mineure (au centre), et deux de seconde majeure (soit ton, ton, demi-ton, ton, ton).

C’est donc une suite de six notes, avec (propriété essentielle) un demi-ton entre les deux notes centrales.

Si on associe aux notes successives d’un hexacorde les sons « do re mi fa sol la », alors le demi-ton sera toujours placé entre le son « mi » et le son « fa ». Donc, apprendre une mélodie en retenant les sons associés aux notes successives, permettra de retenir et retrouver facilement les écarts successifs à reproduire.

Pour rendre la suite de l’exposé suffisamment clair, nous devons bien distinguer la différence entre la valeur d’une note, son nom, et le « son » associé à cette note par le système de solmisation. La solmisation ne faisait qu’associer un son à une note, mais comme nous le verrons, ce son étant ambigu, il ne pouvait pas servir de « nom ». Ce n’est qu’après de nombreuses péripéties que ce « son » associé étant devenu non-ambigu, donc pouvant être utilisé pour désigner une valeur, on a pu utiliser ce son comme nom. Pour mettre en évidence cette distinction, nous allons utiliser pour donner un « nom » aux notes, nom qui en indiquera la valeur, le système anglo-saxon de notation, qui associe une lettre de l’alphabet à chaque note.

Nom anglo-saxon A B C D E F G
Nom usuel actuel La Si Do Mi Fa Sol

Le système de chant grégorien acceptait deux formes pour la note « B » : le « B mou », situé un demi-ton au-dessus de « A », et le « B dur », situé un ton au-dessus de « A ». C’est ce nom de « B mou », noté alors « B moll » qui a donné le mot « bémol ». Pour distinguer ces deux types de « B », le « B mou » était noté dans une graphie plus ronde, et le « B dur » dans une graphie plus carrée. C’est ce « B carré » qui a donné le mot « bécarre ». La graphie adoptée pour ce « B dur » ressemblait à la lettre H en écriture gothique. C’est pourquoi, en notation allemande, le « B dur » est notée par la lettre « H » (ce qui permet à Bach de signer ces partitions par la suite de notes « Si b – La – Do – Si »). Pour simplifier, j’adopterai cette notation, et utiliserai donc « B » pour « B mou » (notre futur « Si b ») et « H » pour « B dur » (notre futur « Si bécarre », ou encore « Si naturel »). Ce qui nous donne le réservoir suivant de notes possibles (avec leur nom moderne en-dessous) :

A B H C D E F G
(La) (Si bémol) (Si naturel) (Do) (Ré) (Mi) (Fa) (Sol)

Il y a un demi-ton entre « A » et « B », entre « H » et « C », et entre « E » et « F » (le demi-ton entre « B » et « H » ne compte pas : il faut choisir entre ces deux notes, qui ne sont en fait jamais utilisées à la suite l’une de l’autre).

On peut donc placer trois hexacordes dans cette gamme, en respectant la règle qui est de posséder un demi-ton au centre.

Nom de l’hexacorde A B H C D E F G A B H C D E F G
Naturel (sur C) ut re mi fa sol la
Mou (sur F) ut re mi fa sol la
Dur (sur G) ut re mi fa sol la

Le nom de l’hexacorde venant directement du type de « B » qu’il inclut ou pas (l’hexacorde naturel ne contient pas de B, le mou contient un B mou, le dur contient un B dur).

On voit donc que dans la solmisation, le son « fa » peut donc être associé, selon l’hexacorde utilisé, aux notes « F », « B », ou « C », qui deviendront dans notre système usuel actuel « Fa », « Si bémol » ou « Do ». C’est bien la preuve que, dans cet état, la solmisation ne permet pas de nommer une note par le son qui lui est associé, car ce son est ambigu. Mais là n’est pas le but de la solmisation.

Hexacordes et gammes

La solmisation superpose à une structure musicale basée sur l’octave, et qui permet de nommer et définir les notes, une autre structure, basée sur la sixte majeure, qui permet de chanter les notes en identifiant les écarts entre elles (selon la règle simplissime qu’il y a un ton entre toutes les notes, sauf entre « mi » et « fa », où il n’y a qu’un demi-ton).

Cette superposition nécessite un ensemble d’hexacordes successifs, qui couvrent en se recoupant l’ensemble des octaves utilisées à cette époque. Le tableau suivant montre cette superposition.

Nom
moderne
Nom
ancien
dur
1
naturel
2
mou
3
dur
4
naturel
5
mou
6
dur
7
(Mi 4) ee la
(Ré 4) dd la sol
(Do 4) cc sol fa
(Si 3) hh mi
(Si b 3) bb fa
(La 3) aa la mi re
(Sol 3) g sol re ut
(Fa 3) f fa ut
(Mi 3) e la mi
(Ré 3) d la sol re
(Do 3) c sol fa ut
(Si 2) h mi
(Si b 2) b fa
(La 2) a la mi re
(Sol 2) G sol re ut
(Fa 2) F fa ut
(Mi 2) E la mi
(Ré 2) D sol re
(Do 2) C fa ut
(Si 1) H mi
(Si b 1) B
(La 1) A re
(Sol 1) Gamma ut

Muances

Les sons de la solmisation permettent de chanter une mélodie, en repérant rapidement où mettre les tons et où mettre les demi-tons. Opération très simple lorsque toute la mélodie reste dans le même hexacorde. Mais si l’amplitude de cette mélodie est telle qu’un seul hexacorde ne saurait suffire, les choses se compliquent. Il faut en effet alors changer d’hexacorde. Cela s’appelle une « muance ».

Une muance n’est bien sur possible que sur les notes auxquelles sont associés plusieurs sons. Par exemple, « (Do 2) », qui possède deux sons, « fa » et « ut », et donc appartient a deux hexacordes, permet de passer de l’un à l’autre. Les notes qui appartiennent à trois hexacordes (par exemple « Sol 2 ») autorisent six muances différentes.

Certaines règles permettent de définir quand et comment effectuer les muances. Par exemple, une muance qui aboutit à un son « ut », « re » ou « mi », signifie qu’on passe à un hexacorde supérieur ; inversement, une muance qui aboutit à un son « fa », « sol » ou « la », signifie qu’on passe à un hexacorde inférieur. Il faut aussi éviter autant que possible toute muance, ce qui revient le plus souvent à la retarder au maximum.

Mais ce ne sont là que des habitudes, plus que des règles intangibles. Une exception est par exemple la mélodie « (Si b 2) (Do 3) (Si 2) (Mi 3) », ou en ancienne notation « b c h e ». La première note « b » n’appartient qu’à l’hexacorde mou numéro 3 (qui lui attribue le son « fa »), et la troisième note n’appartient qu’à l’hexacorde dur numéro 4 (qui lui attribue le son « mi »). La seconde note permet de passer de l’hexacorde numéro 3 au numéro 4 (grâce à ses deux sons « sol » et « fa »). La mélodie sera donc solmisée ainsi : « fa sol-fa mi la ». La muance aboutit au son « fa », donc devrait indiquer qu’on passe à un hexacorde inférieur, ce qui n’est pas le cas. On voit par contre que la règle du demi-ton entre « mi » et « fa » permet d’identifier et respecter le demi-ton entre les notes « c » et « h ».

Noms des notes

Il faut maintenant trouver un système pour que les élèves retiennent quelles sont les muances possibles. Cela est fait simplement en nommant chaque note par tous les sons qui lui sont associés. Et pour l’identifier totalement, on précèdera cette liste des sons associés par le nom « anglo-saxon » (notation en lettre). Ainsi, la note « Do 2 » sera nommée « C fa ut », la note « La 2 » devient « A la mi re », la note « Fa 3 » devient « F fa ut ».

Ces noms complets deviennent totalement non-ambigus, c’est à dire qu’ils situent non seulement la position de la note dans l’octave, mais également dans quel octave on est ; ce qui n’était pas le cas pour les lettres seules (« A » pouvant être « Do 2 » ou « Do 3 »), ni pour les listes des sons associés (« fa ut » pouvant être « Do 2 » ou « Fa 3 »).

Complications

Tout ce système fonctionne assez bien, tant qu’on reste dans l’univers musical du chant grégorien, et entre autres contraintes, tant qu’on se contente des notes disponibles.

Mais la polyphonie va perturber ce bel équilibre. En effet, les musiciens ressentent bientôt le besoin impérieux de pouvoir placer une quinte au-dessus du « B dur », ce qui fait apparaître la note « F dièse », ou une quinte en-dessous du « B mou », ce qui fait apparaître la note « E bémol ». Ces nouvelles notes, pour être intégrées dans le système de la solmisation, nécessitent de créer de nouveaux hexacordes. Ces nouveaux hexacordes seront appelés « hexacordes fictifs », et permettront d’écrire une musique qui sera appelée « musica ficta », ou « musique fictive ». De vastes polémiques semblent encore aujourd’hui agiter le monde musicologique quant à la signification exacte de ces termes. Je me garderai donc bien d’entrer plus avant dans un terrain apparemment miné.

Cependant, qui dit nouveaux hexacordes dit nouveaux noms pour chaque note, et nouvelles muances possibles. C’est d’ailleurs lors de l’introduction de ces nouveaux hexacordes que certaines notes auront des noms qui commenceront par « sol mi », ce qui donnera le nom de « solmisation » au système.

Plus d’hexacordes, plus de sons associés à chaque note, des noms plus longs, des possibilités de muances plus nombreuses, le système en se compliquant devient de plus en plus difficile à utiliser. Diverses tentatives ont lieu pour revenir à une solution plus simple, afin qu’elle reste utilisable. Une des solutions est de supprimer certains hexacordes, et limiter les muances possibles. Une autre solution est de rajouter des notes dans ces « hexacordes », qui de fait deviennent des « heptacordes » ou des « octocordes ».

Enfin, après d’âpres hostilités, c’est le « si » qui s’impose, au XVIIème siècle. Ce septième son, pioché dans le derniers vers du « Ut Queant Laxis », permet de transformer la « solmisation » en « solfège ». Dans ce nouveau système,  le 1/2 ton ne se situe pas que entre « mi » et « fa », mais aussi entre « si » et « ut ». Par contre, le nom des notes peut être très fortement simplifié, puisqu’on pourra nommer une note par le son qui lui est attribué, quitte à numéroter les octaves successives pour savoir où on se situe.

Conclusion

Pour réussir à s’imposer avec un tel succès, le système du solfège devait avoir de sérieux atouts dans son jeu.

Certains de ces atouts tiennent à ses origines. Il utilise des sons qui ne sont pas choisis au hasard, mais sont au contraire liés à des croyances religieuses et mystiques, qui irriguent sans doute encore notre inconscient collectif (la résurrection dans une perspective judéo-chrétienne ; le concept de la musique des sphères, rêve d’une harmonie universelle tendance « tout est dans tout et réciproquement » ; la vision des sphères planétaires, qui rythme encore les jours de nos semaines…).

D’autres atouts tiennent à ses performances. Il permet de « lire » une partition et de chanter les mélodies indiquées, sans avoir eu besoin de les entendre, et ce d’une manière qui nécessite des années d’exercice mais que le cerveau, avec suffisamment d’habitude, finit par effectuer de manière automatique et « naturelle ».

Mais comme pour la gamme tempérée, qui aujourd’hui nous semble si habituelle, il a fallu plusieurs siècles d’efforts pour arriver à ce magnifique résultat. Remercions donc Guy d’Arezzo, extraordinaire pédagogue musical, et l’ensemble des contributeurs plus ou moins anonymes qui ont permis l’extension puis la simplification de ce système, pour nous avoir fourni un système à la fois si simple et si efficace.

Pour finir avec une belle image, voici une illustration, qui s’appelle « la main de Guy ». En effet, Guy d’Arezzo, pour que ses élèves retiennent plus facilement le nom des notes, a imaginé un système où la main est utilisée à des fins de mémorisation. Je ne sais pas exactement comment fonctionne ce système « manuel », qui a connu diverses formes, mais je trouve l’image jolie…

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